quarta-feira, fevereiro 02, 2005
Não à OMC
Le Monde 13.01.05
por Cristina d'Almeida, Pedro Chequer (Directores do Programa Nacional da Luta contra a Sida no Brasil), Benjamin Coriat, Michel Kazatchkine
Cette année sera critique pour l'accès aux traitements du sida dans les pays du Sud. La prise de conscience, ces dernières années, de ce que "les malades sont au Sud et les traitements au Nord", a abouti à une mobilisation internationale sans précédent pour que les malades du Sud reçoivent des traitements à des prix acceptables.
La mise sur le marché de médicaments génériques a été, de ce point de vue, une avancée décisive qui a permis de commencer à répondre à l'urgence.
Le prix d'une trithérapie antirétrovirale prescrite en première intention a ainsi chuté de 12 000 à moins de 300 dollars par an et par patient. Cette avancée est menacée aujourd'hui par l'entrée en vigueur des accords dits Adpic (Accords sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce) établis dans le cadre de l'OMC.
Aux termes de ces accords, la plupart des pays en développement devront avoir achevé en 2005 d'introduire dans leurs législations nationales des lois interdisant la copie et la vente de médicaments sous brevet. Ce sera, en particulier, le cas pour l'Inde et la Chine.
L'Inde est le premier producteur et exportateur mondial d'antirétroviraux génériques. La Chine est le fournisseur principal de matières premières et de principes actifs entrant dans la composition des médicaments antirétroviraux pour les grandes firmes pharmaceutiques occidentales comme pour de nombreuses firmes de génériques. Les conséquences de la situation nouvelle ainsi créée en 2005 sont, hélas, prévisibles.
Les prix des médicaments, jusqu'alors maintenus à la baisse par la concurrence générique, risquent de repartir à la hausse. Les nouveaux médicaments dont les patients auront besoin à l'avenir ne pourront plus être produits sous forme de génériques, et une menace sérieuse plane sur les génériques actuellement vendus et utilisés dans les programmes d'accès aux soins.
De plus, la fin de la libre circulation des principes actifs risque de compromettre le déploiement de programmes déjà existants comme celui du Brésil, basé sur l'importation de principes actifs à bas prix et la fabrication locale de génériques.
Certes, l'accord intérimaire du 30 août 2003 conclu dans le cadre du Conseil des Adpic de l'OMC, à la suite de la déclaration de Doha, ouvre la possibilité de poursuivre l'alimentation en génériques. Cependant, de l'avis unanime, sa mise en œuvre risque de se montrer très difficilement applicable, du fait de la complexité et de la lourdeur des procédures à mettre en œuvre.
Ainsi, pour chaque achat de médicaments, une double licence obligatoire est requise, à la fois pour le pays importateur et le pays exportateur. En outre, la licence émise n'est valable que pour une transaction unique, concernant un médicament précis, pour une quantité donnée. Le pays importateur doit avoir fait la démonstration de ce qu'il aura préalablement tenté de négocier à l'amiable avec le détenteur de brevets.
Un autre motif d'inquiétude s'ajoute à ces premières considérations. La signature d'accords de commerce bilatéraux entre les Etats-Unis et certains pays (par exemple le Maroc, la Jordanie, Singapour) impose des niveaux de protection en matière de propriété intellectuelle sur les médicaments encore plus restrictifs et sévères que ceux contenus dans les accords Adpic.
L'année 2005 marquera-t-elle un coup d'arrêt à la liberté des pays du Sud et des programmes internationaux, en particulier ceux du Fonds global de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, de recourir aux médicaments génériques ?
Si l'on entend préserver et prolonger l'acquis de ces dernières années, il est urgent que de nouvelles initiatives soient prises afin de garantir la continuité de l'innovation en matière de médicaments, de consolider la position des pays en développement dotés de capacité de production, et de faciliter l'accès aux médicaments pour les pays les plus pauvres.
Il faut le rappeler : si les trithérapies ont permis une réduction considérable de la mortalité et de la morbidité liées au sida, elles ne permettent pas, néanmoins, l'éradication du virus, et exposent à des effets secondaires et à la survenue d'une résistance virale aux traitements. La poursuite de la recherche fondamentale dans le secteur public et celle d'une recherche active dans le secteur industriel restent plus nécessaires que jamais. Les dispositifs d'incitation et d'aide à la recherche doivent être renforcés.
Pour les quelques pays qui disposent d'une capacité technologique et d'une expérience de production de génériques (par exemple le Brésil, l'Afrique du Sud ou la Chine), il est essentiel de les aider à parvenir à la couverture de leurs besoins par leurs moyens propres.
Dans cet esprit, l'initiative prise au moment de la Conférence internationale sur le sida de Bangkok, l'été dernier, par le gouvernement brésilien, d'établir une coopération technologique avec la Chine, la Russie, le Nigeria, l'Ukraine et la Thaïlande, doit être saluée et soutenue.
Pour les pays pauvres dépourvus des capacités de fabrication de génériques, des souplesses nouvelles doivent être apportées aux dispositions de l'OMC. Il n'est pas envisageable pour ces pays, dont les ressources annuelles par habitant sont inférieures - souvent de loin - à celles du coût des seuls médicaments de laisser opérer les seules lois du marché.
La mobilisation des ressources internationales - qu'il s'agisse des fonds dispensés par le Fonds mondial, la Banque mondiale ou des fondations privées - doit être mise au service des stratégies d'achat les plus économiques possibles : les meilleures offres aux meilleurs prix doivent être systématiquement favorisées et privilégiées.
Avec l'application des accords Adpic, manifestement inopportuns et déséquilibrés, 2005 risque de signifier un brusque retour en arrière. Il n'est pas trop tard pour agir.